Pendant que l’on s’efforçait, du côté de la philosophie, d’unir toutes les religions, on faisait en même temps un effort similaire du côté de la politique. Élagabal (218-222 apr. J.-C.) avait l’ambition de fondre toutes les religions en une seule, dont « le soleil devait être, » dit Milman, « l’objet central d’adoration ». Cependant, les éléments n’étaient pas encore tout à fait prêts pour une telle fusion. De plus, la brièveté du règne d’Élagabal empêchait toute avancée décisive vers le succès.
Sévère Alexandre, de 222 à 225 après J.-C., a eu la même idée et l’a mise en œuvre dans sa pratique individuelle. « La mère de Sévère Alexandre, l’habile, peut-être rusée et rapace, Mamaia, avait au moins des relations avec les Chrétiens de Syrie. Elle avait conversé avec le célèbre Origène et écouté ses exhortations, sans se convertir, mais non sans respect. Alexandre, bien qu’il n’ait eu ni l’éducation religieuse, ni le caractère pontifical, ni les mœurs dissolues de son prédécesseur, était un Syrien, sans attachement héréditaire à la forme romaine du paganisme. Il semble avoir affecté une sorte d’universalisme : il respectait décemment les dieux de la capitale : il tenait en honneur le culte égyptien, et agrandissait le temple d’Iris et de Sérapis. Dans son propre palais, avec une indifférence respectueuse, il a consacré, pour ainsi dire, comme divinités domestiques, les représentants des différents systèmes religieux ou théophiliques qui prévalaient dans l’Empire romain, Orphée, Abraham, le Christ et Apollonios de Tyane… L’hommage de Sévère Alexandre peut être un bon test du sentiment général des païens les plus intelligents de son époque » – Milman. Son règne a également été court pour accomplir quoi que ce soit au-delà de son propre exemple individuel. Mais la même tendance a rapidement progressé.
Du côté de la philosophie et de l’apostasie, le progrès était continu et rapide. Vers le milieu de ce siècle (le troisième), Origène, le philosophe de l’Église, et Celse, un philosophe païen, eurent une longue discussion sur les mérites respectifs de la philosophie païenne et de la philosophie chrétienne. Et la position des deux systèmes à cette époque est bien décrite par Milman dans la déclaration suivante :
Le paganisme, tel qu’il est interprété par la philosophie, a presque trouvé grâce aux yeux de certains des apologistes chrétiens les plus modérés. Les chrétiens s’efforçaient d’enrôler les premiers philosophes dans leur cause ; ils ne se contentaient guère d’affirmer que la noble philosophie grecque pouvait être destinée à préparer l’esprit humain à la réception du christianisme ; ils étaient presque enclins à doter ces sages d’une sorte de prescience prophétique de ses doctrines mystérieuses. « J’ai expliqué, » dit le chrétien dans Minucius Félix, « l’opinion de presque tous les philosophes, dont la gloire la plus illustre est d’avoir adoré un seul Dieu, quoique sous des noms divers ; de sorte qu’on pourrait supposer ou que les chrétiens d’aujourd’hui sont des philosophes, ou que les philosophes d’autrefois étaient déjà chrétiens. » Ces avances de la part du christianisme furent plus que satisfaites par le paganisme.
Au cours des cinquante années suivantes, alors que la politique impériale varie, ces éléments progressent régulièrement dans la même direction générale. La pratique de Grégoire, le « thaumaturge », illustre parfaitement les progrès de l’apostasie pendant cette période.
Grégoire était un élève et un converti d’Origène. Ce dernier l’a fortement encouragé à « consacrer ses acquisitions dans la science et le savoir païens à l’élucidation des Écritures ». Lorsqu’il quitta l’école d’Origène à Alexandrie, l’évêque de Néo Césarée, de 240 à 270 ap. J.-C., et la manière dont il suivit pleinement les conseils d’Origène sont démontrés par ce qui suit de Mosheim :
« Lorsque Grégoire s’aperçut que la multitude ignorante persistait dans son idolâtrie, à cause des plaisirs et des gratifications sensuelles dont elle jouissait lors des fêtes païennes, il leur accorda la permission de s’adonner aux mêmes plaisirs, en célébrant la mémoire des saints martyrs, espérant qu’avec le temps, ils reviendraient d’eux-mêmes à un mode de vie plus vertueux et plus régulier ». Il ne fait aucun doute que, par cette permission, Grégoire autorisait les chrétiens à danser, à s’amuser et à festoyer sur les tombes des martyrs, lors de leurs fêtes respectives, et à faire tout ce que les païens avaient l’habitude de faire dans leurs temples, lors des fêtes célébrées en l’honneur de leurs dieux.
Néo Césarée était l’une des villes les plus importantes du Pont. Cependant, Grégoire employa avec tant de diligence les talents qui lui avaient été confiés par Origène, que l’on raconte à son sujet que « si l’on dit qu’il n’y avait que dix-sept chrétiens dans toute la ville lorsqu’il y entra comme évêque, on dit qu’il n’y avait que dix-sept païens au moment de sa mort. » Il est cependant évident, d’après la pratique de Grégoire, que ceux qu’il a amenés au nom chrétien étaient aussi païens qu’auparavant, sauf en ce qui concerne le simple fait de porter ce nom.
À l’époque de Dioclétien, ce qu’on appelait le paganisme était si différent du paganisme originel de Rome que Milman le désigne clairement comme « le nouveau paganisme ». Ce nouveau paganisme était si peu éloigné de la forme apostâtes du christianisme que nous avons décrit, qu’il n’en différait réellement que de nom. Milman décrit ainsi la situation des deux systèmes au moment de l’avènement de Dioclétien :
Parmi les soucis de son administration, il ne négligea nullement la purification des anciennes religions. […] Dans le paganisme lui-même, ce changement silencieux mais manifeste dont nous avons déjà remarqué le début, s’était insinué. […] Ce nouveau paganisme, comme nous l’avons observé, est né de l’alliance de la philosophie et de la religion de l’ancien monde. Ces adversaires autrefois implacables avaient concilié leurs différences et s’étaient coalisés contre l’ennemi commun. Le christianisme lui-même n’avait pas eu une faible influence sur la formation du nouveau système ; et maintenant un élément oriental, de plus en plus fortement dominant, se mêlait à l’ensemble, et lui prêtait, pour ainsi dire, un objet visible de culte. Du christianisme, le nouveau paganisme avait adopté l’unité de la Déité, et ne se gênait pas pour dégrader tous les dieux de l’ancien monde en démons ou ministres subalternes. Les Chrétiens avaient par imprudence tenu le même langage : tous deux s’accordaient à nommer les démons ; mais les païens employaient le terme dans le sens platonicien, comme des esprits bons mais subordonnés, tandis que le même terme parlait à l’oreille chrétienne comme exprimant une action maligne et diabolique. Mais Jupiter Optimus Maximus (un culte païen) n’était pas le grand Suprême du nouveau système. La divinité universelle de l’Orient, le soleil, était pour le philosophe l’emblème ou le représentant ; pour le vulgaire, la divinité. Dioclétien lui-même, bien qu’il ait fait preuve de tant de déférence envers l’ancienne foi qu’il a pris le titre de Jovius, comme appartenant au seigneur du monde, cependant, lors de son accession, lorsqu’il a voulu se disculper de toute responsabilité dans le meurtre de son prédécesseur, Numérien, fait appel, face à l’armée, à la divinité du soleil qui voit tout. C’est l’oracle d’Apollon de Milet, consulté par l’empereur hésitant, qui va décider du sort du christianisme. Le langage métaphorique du christianisme avait inconsciemment donné de la force à ce nouvel adversaire ; et en adorant l’orbe visible, certains, sans doute, pensaient qu’ils ne s’éloignaient pas beaucoup du culte du « Soleil de justice ».
Dioclétien lui-même envisageait réellement la même fusion de toutes les religions en une seule, avec le soleil comme grande divinité universelle, qu’Élagabal avait envisagé en son temps ; mais par Galère et le principal philosophe du nouveau paganisme, il fut persuadé d’utiliser toute la puissance de l’État dans l’effort pour rendre le paganisme seul suprême. Le résultat, cependant, fut que Galère fut obligé de publier un édit public dans lequel il confessait son échec.
C’est alors qu’arriva Constantin, le plus grand représentant impérial du nouveau paganisme, et le plus fervent adorateur du soleil en tant que divinité suprême et universelle, dans le but avoué, comme il l’exprime lui-même, « d’amener d’abord les divers jugements formés par toutes les nations au sujet de la divinité à une condition, pour ainsi dire, d’uniformité établie ». En Constantin, le nouveau paganisme a rencontré son idéal et le nouveau platonisme, la forme apostate, païenne et adoratrice du soleil du christianisme, a connu l’enterrement tant désiré. En lui, les deux courants se sont rencontrés. En lui, l’aspiration d’Élagabal, l’espoir d’Ammonios Saccas et d’Origène et l’ambition des évêques pervers et auto-exaltés se réalisèrent et s’accomplirent, une religion nouvelle, impériale et universelle fut créée. Par conséquent, selon les mots de Milman, « le règne de Constantin le Grand constitue l’une des époques de l’histoire du monde. C’est l’époque de la dissolution de l’Empire romain : le début, ou plutôt la consolidation, d’une sorte de despotisme oriental, avec une nouvelle capitale, un nouveau patriciat, une nouvelle constitution, un nouveau système financier, une nouvelle jurisprudence, encore imparfaite, et, enfin, une nouvelle religion. »
L’époque ainsi formée est l’époque de la Papauté ; et la « nouvelle religion » ainsi créée est la Religion Papale.
Cet article provient du 30 janvier 1896 de Present Truth ayant comme titre : « The Papacy, The Establish of the New Religion ».